Des lieux de travail sûrs en temps de Covid-19

L’avis des experts sur la santé et la sécurité au travail en période de pandémie.

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Cela fait presque un an que la pandémie de COVID-19 a bouleversé notre monde, et notamment le monde du travail. Nos certitudes ont volé en éclat, un retour à la normale semble compromis et l’imprévisibilité est à l’ordre du jour pour longtemps encore. Comment les organisations peuvent-elles maîtriser pareille situation et comment les salariés peuvent-ils se protéger tout en remplissant leurs obligations contractuelles ?

D’après Sally Swingewood et Martin Cottam, respectivement Manager et Président de l’ISO/TC 283 – le comité technique de l’ISO pour le management de la santé et de la sécurité au travail –, l’agilité et la flexibilité sont les nouveaux maîtres-mots.

Ce comité a récemment publié ISO/PAS 45005, Occupational health and safety management – General guidelines for safe working during the COVID-19 pandemic (Management de la santé et de la sécurité au travail – Lignes directrices générales relatives à la sécurité au travail pendant la pandémie de COVID-19), une spécification publiquement disponible (PAS) destinée à aider les employeurs et les salariés dans tous les secteurs d’activité, de l’auto-entreprenariat aux multinationales.

Comme la pandémie ne montre guère de signes d’essoufflement pour les mois à venir, nous avons cherché à savoir pourquoi certaines organisations s’en sortent mieux que d’autres et ce qui pourrait être fait de plus pour changer la donne.

ISO : Cela fait un peu plus d’un an que la pandémie de COVID-19 a fait irruption dans nos vies. Qu’avons-nous appris en ce qui concerne la gestion des lieux de travail ? 

Martin : Il est vraiment difficile de généraliser, et c’est peut-être l’un des principaux enseignements que l’on peut tirer de cette situation. Le travail revêt en effet des formes multiples et il existe divers types d’organisations, dont chacune est affectée de manière différente. Si certaines sont passées au télétravail sans heurt, nombre de fonctions continuent d’exiger une présence physique et des interactions avec autrui.

De la même manière, les gens sont tous différents et connaissent des situations différentes, de sorte que ce qui est gérable pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Ainsi, la première leçon que nous avons apprise est qu’il était nécessaire d’adapter les mesures à l’organisation elle-même et, si possible, au contexte individuel de chaque travailleur. 

Sally : Cette période a aussi montré l’importance de faire preuve de souplesse et de flexibilité, et de mettre en place un plan de continuité d’activité. Nombre d’organisations ont dû procéder à de multiples ajustements dans un délai très court, en fonction de l’évolution de la situation à laquelle elles étaient confrontées, et cela ne devrait pas s’arrêter de sitôt. À l’avenir, il leur faudra veiller à un partage plus efficace des connaissances et des compétences essentielles et démontrer une volonté et une capacité à s’adapter aux modifications rapides de leur environnement.

Si le télétravail a été encouragé et continue de l’être, il n’en demeure pas moins que de nombreux emplois ne peuvent s’effectuer à domicile. Comment ces travailleurs peuvent-ils réduire les risques auxquels ils sont exposés ? 

Martin : Il existe en effet de nombreux métiers qui ne peuvent être exercés à distance, notamment ceux qui sont assimilés à des services essentiels (commerce de détail, transports, services d’utilité publique, etc.) ou qui relèvent des secteurs de la santé et de l’aide sociale. Le travail doit alors s’effectuer dans les locaux de l’employeur ou à l’extérieur, par exemple dans un espace public, dans les locaux d’une autre organisation ou au domicile d’un tiers. Très souvent, cela implique des contacts avec d’autres travailleurs et/ou avec le public. Il va sans dire que celles et ceux qui côtoient beaucoup de monde sont plus exposés. Les statistiques montrent, par exemple, que les conducteurs de transports publics présentent l’un des taux de mortalité les plus élevés liés à la COVID-19.

Cependant, dans tous les cas cités, il y a des mesures qui peuvent être prises pour réduire le risque de transmission. Cela peut passer par la réorganisation du travail, la réduction des contacts humains au strict minimum, le respect de la distanciation sociale ou la limitation du nombre de personnes autorisées à bord d’un véhicule. Il s’agit également d’éviter tout partage de boissons ou de nourriture et d’appliquer des mesures d’hygiène tout au long de la journée de travail. D’autres mesures peuvent également être prises pour modifier l’aménagement des locaux afin d’établir une meilleure séparation entre les travailleurs ou entre ces derniers et le public, ou encore pour améliorer la ventilation et la désinfection des surfaces, par exemple.

Bien entendu, il faut pour cela que les salariés soutiennent les mesures prises par l’organisation. La communication et la consultation sont à cet égard décisives. Si le personnel a le sentiment de bien comprendre pourquoi certaines mesures sont appliquées, s’il est consulté et se sent entendu dans la prise de décisions, il sera plus enclin à s’associer à la démarche et à sécuriser ses activités.

Certaines de ces mesures peuvent-elles réellement induire d’autres risques ?

Sally : Oui. En effet, il arrive parfois que les règles ou mesures mises en place nuisent à l’efficacité des mesures de contrôle existantes en matière de santé et de sécurité ou qu’elles portent préjudice aux personnes handicapées. Modifier l’aménagement d’un lieu de travail ou la signalisation peut présenter des difficultés et des risques pour les personnes qui ont des problèmes de mobilité, de vue ou d’audition, par exemple. Il importe donc de prendre en considération les besoins de tous les travailleurs lorsqu’il est question d’adapter les lieux de travail et d’appliquer de nouvelles mesures.

Martin : Il en va de même pour les espaces publics qui sont réaménagés afin de réduire la propagation de la COVID-19. Ainsi, une organisation peut être amenée à transférer certaines de ses activités à l’extérieur des locaux, par exemple les aires d’attente, mais elle doit alors également s’assurer que ces zones sont sûres, notamment lorqu’elles coïncident avec des lieux où des véhicules effectuent habituellement des manœuvres.

Même la limitation du nombre de personnes présentes dans les locaux ou participant à une activité peut présenter certains risques, car cela peut amener certaines d’entre elles à se retrouver seules sur leur lieu de travail, avec des secouristes ou des pompiers en effectif réduit.

Female bus driver wears a protective transparent face shield during the COVID-19 pandemic.
Qu’en est-il des emplois exercés dans les espaces publics ou dans des lieux où aucune mesure ne peut être appliquée ? Comment assurer la sécurité des agents de police ou des postiers, par exemple ?

Martin : L’un des principaux enjeux pour les organisations dont les employés travaillent dans des espaces publics est la variété des situations auxquelles ceux-ci peuvent être confrontés, ainsi que la diversité des comportements manifestés par les membres du public qu’ils côtoient. Il faut donc impérativement préparer les travailleurs à faire face à ces situations. Il importe aussi d’être attentif aux différents contextes dans lesquels évoluent ces travailleurs afin de pouvoir adapter les mesures appliquées, si nécessaire.

Sally : Outre de judicieux conseils, les organisations peuvent aussi proposer à leur personnel des solutions pratiques, telles que l’aseptisation et la désinfection des matériels.

Le télétravail a été encouragé. Pourtant, s’il est considéré comme l’option la plus sûre, il n’est pas non plus sans risque.

Martin : Certaines personnes, il est vrai, s’adaptent facilement au travail à domicile alors que, pour d’autres, cette option n’est pas possible et/ou souhaitable. Pour certains se posent des problèmes évidents d’espace de travail. S’il est possible de s’accommoder de sa table de cuisine pour une journée, c’est une tout autre histoire si cela doit durer des mois et qu’en plus vous avez de jeunes enfants à gérer. Le télétravail peut aussi engendrer des troubles physiques si l’espace de travail est inadapté et, pour certaines personnes, ce mode de travail se révèle être tout simplement une source de stress.

Chez certains salariés, la modification des contacts avec leur hiérarchie peut générer un sentiment d’insécurité, qui les incite au surmenage. D’autres voient leur charge de travail diminuer pour diverses raisons (projets annulés, etc.) et peuvent se retrouver en situation de « sous-emploi », ce qui génère également du stress et de l’anxiété.

Sally : De même, les évaluations de fin d’année peuvent peser lourdement sur les personnes qui ne sont pas parvenues à atteindre leurs objectifs en raison de la situation sanitaire ou du stress qui en résulte. Sans parler du manque de contacts sociaux. À l’inverse, le télétravail a permis à d’autres salariés de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de réduire ainsi leur niveau de stress. Pour ces personnes, c’est le retour au bureau qui pourrait présenter un défi !

Parlons du stress…

Sally : Une des conséquences réellement positives de cette pandémie est qu’elle a amené les gens à parler plus ouvertement de santé mentale. Et il est important que les gens s’expriment, qu’ils se sentent entendus et que leur direction ou leurs collègues prennent leur anxiété au sérieux. Leurs sentiments, quels qu’ils soient, sont réels et ils doivent pouvoir les exprimer en toute sécurité. La santé mentale a été mise à rude épreuve durant l’année écoulée et il est essentiel de se départir de toute stigmatisation concernant le stress, l’anxiété ou la dépression.

Martin : Il importe également de bien comprendre que chacun a des difficultés qui lui sont propres et, par conséquent, des besoins différents. Certains membres du personnel pourront se sentir parfaitement bien et n’auront pas besoin d’aide supplémentaire, alors que d’autres devront procéder à quelques ajustements afin de pouvoir travailler efficacement. Un employeur qui fait confiance à son personnel et s’efforce de maintenir une certaine flexibilité peut vraiment contribuer à atténuer le stress lié au travail.

Dans les secteurs où il est difficile d’assurer une telle flexibilité, comme le commerce de détail ou la construction, il est important que les salariés sachent qu’ils peuvent faire entendre leurs préoccupations, qu’il s’agisse de collègues qui ne respecteraient pas les procédures de sécurité ou de l’obtention de matériel de sécurité supplémentaire. Écouter et consulter les salariés est donc vraiment essentiel et se révèle fécond tant pour l’individu que pour le succès de l’organisation.

De nombreux gouvernements et organismes ont publié des lignes directrices en matière de santé et de sécurité au travail lors de la première vague de COVID-19. Pourquoi avons-nous besoin d’ISO/PAS 45005 ?

Sally : Bien que l’on ait eu à disposition dès le départ d’orientations provenant de sources diverses, nombre d’entre elles s’adressaient à des secteurs ou contextes particuliers. Le British Standards Institute a saisi l’occasion pour élaborer un ensemble de lignes directrices générales destinées au Royaume-Uni. Le succès de ce document, notamment dans des pays qui n’avaient pas d’équivalent à l’époque, a mis en lumière la nécessité de disposer de bonnes pratiques convenues à l’échelle internationale et susceptibles d’être appliquées dans n’importe quel contexte.

Martin : ISO/PAS 45005 est générique du point de vue de son applicabilité, mais spécifique en ce qui concerne les orientations qu’elle fournit. Elle apporte aux organisations une aide simple et pratique en les alertant sur ce qu’ils doivent résoudre ou mettre en œuvre pour continuer à fonctionner sans compromettre la santé et la sécurité de leurs travailleurs et des personnes ayant un lien avec leurs activités.

Sally : Nous espérons qu’ISO/PAS 45005 aidera les entreprises à s’adapter, à survivre et à rester en activité quelle que soit l’évolution de leur situation au plan local et sans avoir à transiger sur la sécurité de leurs travailleurs. En étant parfaitement préparés, nous devrions être en mesure de sauver à la fois des vies et des emplois.

Qu’en est-il de ceux qui ne correspondent pas au modèle traditionnel employeur/salarié, tels que les travailleurs contractuels, occasionnels, indépendants ou illégaux ?

Sally : Lorsque nous avons élaboré cette spécification, nous souhaitions précisément qu’elle soit utile à tout type de salarié ou d’employeur et applicable à tout type d’emploi, partout dans le monde. Beaucoup de gens, pour des raisons diverses, n’ont d’autre choix que de continuer à travailler, mais il est toujours possible de prendre des mesures permettant de réduire leur risque d’infection. La PAS permet aux travailleurs de mieux comprendre ce qu’ils peuvent faire, à titre individuel, pour se protéger, même s’ils ont une activité indépendante ou n’ont pas de modalités de travail fixes ou d’employeur unique. Nous en avons longuement débattu avec nos collègues dans de nombreux pays et continents pour nous assurer de la pertinence de notre démarche.

Martin : C’est aussi l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons demandé qu’ISO/PAS 45005 soit mise à disposition gratuitement, afin que chacun puisse y avoir accès quelle que soit sa situation économique. Dans cette optique, nous l’avons également fait traduire en espagnol.

D’après vous, quelles sera l’incidence à long terme sur les lieux de travail ?

Martin : Je pense qu’un des changements les plus remarquables sera probablement l’augmentation du temps passé à travailler à domicile. Pour de nombreuses organisations, la pandémie a démontré que le télétravail pouvait être efficace et qu’il offrait des avantages tant aux travailleurs qu’à l’employeur. Je soupçonne également qu’à l’avenir, beaucoup d’organisations chercheront à exploiter davantage le potentiel qu’offrent les réunions virtuelles afin de réduire le nombre de déplacements professionnels.

Il pourrait y avoir d’autres impacts sur la conception et l’agencement des lieux de travail, car les organisations s’efforceront de maintenir certains aménagements qui réduisent le risque de transmission des infections entre les travailleurs, mais aussi entre ces derniers et le public.

Sally : Je pense également que la pandémie a entraîné beaucoup de changements positifs en matière d’efficacité opérationnelle et de réorganisation des achats et de la chaîne d’approvisionnement, ce qui en renforce la fiabilité. Nombreuses sont les organisations qui ne reviendront pas totalement à leur mode de fonctionnement antérieur, car les nouveaux changements se révèlent positifs.

Comment de futures normes peuvent-elles aider ?

Sally : Dans un premier temps, nous avons l’intention de réexaminer et de réviser ISO/PAS 45005 si nécessaire. Nous avons délibérément opté pour le format de la “spécification publiquement disponible”, qui a l’avantage d’offrir de la rapidité et une grande souplesse ; nous pourrons ainsi l’actualiser en fonction de l’évolution de la situation ou l’élaborer davantage pour en faire une norme à part entière. Cette spécification sera en outre utilement complétée par la norme ISO 45003 actuellement en préparation sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, dont la publication est prévue plus tard cette année.

Dans de nombreuses organisations, la gestion de la santé et de la sécurité au travail a souvent porté davantage sur la sécurité que sur la santé, et davantage encore sur la santé physique que sur la santé mentale. Mais les choses commencent à changer. La pandémie a vraiment contribué à briser le tabou qui entoure la santé mentale au travail, et elle est désormais une composante nécessaire de la santé et de la sécurité pour toutes les organisations.

Martin : Nous avons également amorcé une réflexion sur une norme relative à la prévention et à la prise en charge des maladies infectieuses au travail. Cette norme portera sur la COVID-19 et d’autres virus similaires, mais aussi sur des maladies comme la grippe saisonnière qui peuvent avoir un fort impact sur le fonctionnement des organisations sans nécessairement mettre la vie en danger.

Sally : L’idée est de s’appuyer sur les enseignements tirés de la pandémie relatifs à la nécessité de planifier et à l’efficacité, entre autres, des conditions d’hygiène renforcées. Tout cela est crucial pour une meilleure prise en charge des maladies infectieuses, y compris celles dont on s’accommode habituellement au travail.

ISO/PAS 45005 est disponible auprès du membre de l’ISO de votre pays ou sur l’ISO Store.

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